L'Odyssée d'une migrante
Par Paolo Castaldi
Etenesh débarque sur les côtes de Lampedusa presque deux ans après son départ d'Addis Abeba en Éthiopie. Elle garde en elle la mémoire d'un voyage infernal entrepris dans l'espoir d'un avenir meilleur. Elle a parcouru le Soudan, le désert du Sahara, a fini dans les mains de trafiquants d'hommes dans une prison en Libye, a traversé la mer Méditerranée à bord d'un canot de sauvetage pensant à chaque mètre que tout serait en vain.
Sorti le 21 janvier 2016
Éditions : Des Ronds dans l'O
Bande dessinée | contemporain
Allez. Il est grand temps de me lancer dans les avis de livres graphiques. Je compte m’y mettre petit à petit, prendre le temps de m’immerger dans ce genre de littérature, de me l’approprier et de me constituer une petite base de références. Je tiens aujourd’hui à vous proposer un article sur une bande dessinée - empruntée à la médiathèque de ma ville - dont la couverture m’a interpellée. Il s’agit de ETENESH, L’Odyssée d’une migrante, par Paolo Castaldi aux éditions Des ronds dans l’O.
Etenesh signifie “Tu es ma soeur”, tels sont les premiers mots de ce livre, les premières pierres de cet édifice aussi troublant que nécessaire. L’Odyssée d’une migrante, qu’est-ce que cela ? Un long chemin pavé d’obstacles, un périple qui éprouve aussi bien vos nerfs que votre détermination, une marche pour la survie plus que pour la vie. C’est une route sinueuse et dangereuse, entre mer et désert, entre insulte et violence. Etenesh incarne cette traversée, à la fois une et multiple, anonyme parmi les anonymes. Son ombre viendra-t-elle grossir le tableau des disparus ?
Carte de la Corne de l'Afrique, on y voit l'Ethiopie (anciennement Abyssinie),
l'Erythrée, Djibouti, la Somali, 1920.
Une ambiance austère pour un récit glaçant, un coup de crayon particulier et relativement peu de couleurs criardes, tout est dans la sobriété. Ce récit s’inscrit davantage, à mes yeux, dans une volonté de nous immerger au coeur du désespoir et de la violence, suggérer plutôt que montrer sans pour autant négliger d’exposer les faits, de les souligner. De l’Ethiopie à l’Italie, rejoindre un ailleurs, fuir une situation pour en (re)trouver une autre, affronter ses peurs et vivre l’instant présent. J’ai bien mis une bonne dizaine de planches à me familiariser avec les dessins, avec ces jeux de couleurs plutôt sombres qui contribuent à accentuer la gravité de ce qui est dit, de ce qui est montré.
Du jaune pour le désert, du bleu pour la mer, deux ambiances, deux tonalités mais un même sentiment, celui de la misère et de l’urgence. Le rouge symbolise le personnage principal, celle dont nous suivons le périple, traversant l’Ethiopie, parcourant le Soudan et le désert du Sahara… On s’adapte voire s’acclimate à ces conditions particulières, à ce mode de vie plus que rudimentaire qui vous ôte toute humanité. Ces hommes et femmes, qui fuient, pourraient être n’importe qui comme tout le monde, une foule de visage, un océan de nom, une terre désolée.
Stéphanie Ledoux, Fayo Abdellah,
Jolie petite fille rencontrée dans les ruelles colorées de Harar, 2014
L’ouvrage nous livre quelques témoignages recueillis comme de sublimes gouttes d’eau, des tranches de vie qui touchent et font réfléchir. Certaines planches sont totalement vierges de cartouches de la moindre parole ou inscription textuelle, nous sommes invités à découvrir, imaginer et ressentir par la seule force du dessin, de ces traits très marqués, dont je ne suis pas spécialement fan, je dois bien le reconnaître. Je trouve que les traits sont grossiers, non pas vulgaires mais pas fins non plus, que le tout est quelque peu minimaliste. Je peux comprendre cette volonté de montrer que l’on part sans rien, avec uniquement des souvenirs et peut être aussi l’espoir, ce sentiment qui s’estompe jusqu’à disparaître… Je peux le comprendre mais je n’y ai pas été sensible. Quelques vignettes sont plutôt dures, violentes, peuvent mettre mal à l’aise. Les dialogues sont généralement secs, à l’image du rapport de force instauré par les passeurs et les migrants, du traitement qu’on leur réserve.
Il s’agit ici de retranscrire un parcours, de transmettre des émotions et de véhiculer un message de paix et de tolérance, une envie de tendre la main pour éviter ce genre de situation. Paolo Castaldi nous offre un plongeon au coeur de l’horreur, une descente aux enfers méthodique et millimétrée qui entraîne de nombreuses âmes dans son sillage. Combien meurent anonymement ? Privés de sépulture ? Combien de familles sont déchirées par départs précipités, par ces sinistres destinées ? Etenesh c’est un cri du coeur, une envie de voir plus loin que le simple mot de “migrant”, le besoin de montrer toute l'aberration de cette dramatique entreprise. Cette bande-dessinée mérite qu’on prenne le temps de la feuilleter, pour toutes celles et ceux qui quittent leur pays, pour tous les exilés, pour toutes les victimes et les destins brisés.
QUELQUES VIGNETTES
Je la note !
RépondreSupprimerDans le cadre de mon boulot, on fait des animations pour deconstruire les préjugés sur les migrants ! Ça peut vraiment être intéressant
Oh en effet! C'est un sujet très intéressant à traiter, ça doit être vraiment enrichissant de pouvoir faire des animations là dessus !
SupprimerJe ne connaissais pas du tout cette maison d'édition
RépondreSupprimerMoi non plus, elle a l'air de proposer de chouettes titres.
SupprimerLes illustrations sont absolument sublimes ma belle 😍 En temps normal, je suis plus attirée par les comics, mais celle-ci pourrait me faire changer d'avis !
RépondreSupprimerJe n'ai pas l'habitude de ce genre de BD et je t'avoue que l'expérience fut vraiment intéressante. A réitérer ! :D
SupprimerLes illustrations sont magnifiques et le sujet m'intéresse beaucoup, ça donne envie :3
RépondreSupprimerLe sujet est passionnant et surtout d'actualité !Une très belle découverte :)
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